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DEPARDIEU
un ogre, passionné par la vie

Numéro 5, octobre 2001

"être acteur, c'est prendre l'air"

Gérard Depardieu, c’est un ogre, passionné par la vie, un jouisseur, boulimique de travail, capable de s’illustrer dans tous les genres cinématographiques : drame, classique, comique, historique. Il appartient à la catégorie des poids lourds, de qui peut tout interpréter. Rien n’est fait à moitié, il s’empare littéralement de ses rôles, ses personnages entrent dans sa peau et non le contraire, seule manière d’être à la hauteur de sa démesure. C’est un colosse en porcelaine, une force brute d’une générosité bouleversante. Sa carrière ne ressemble à aucune autre. Il a travaillé avec presque tous les grands réalisateurs. Il est passé de Duras à Weber, de Blier à Bertolucci, il revient régulièrement au théâtre. Il a chanté avec Barbara, entamé une carrière à la télévision: « Monte-Christo », bientôt « Balzac », « Notre-Dame de Paris », « Les Misérables ». Il est passé par ici, il repassera par-là. Il court, Depardieu, quitte à faire des erreurs. Il se rassasie avec la vie des autres, lui qui a failli n’être personne.

Au départ, rien ne prédisait qu’on le comparerait à Brando et qu’il deviendrait l’acteur numéro un du cinéma français avec près de cent films à son actif. Il est né le 27 décembre 1948, à Châteauroux dans l’Indre, au sein d’une famille de six enfants. Son père ne sait ni lire ni écrire, mais se dit « citoyen du monde ». Enfant hLe 8 août 2001eureux, ado difficile, Gérard passe plus de temps dans la rue qu’à l’école, qu’il quitte à l’âge de 13 ans. À 14 ans, il vend des savonnettes en province; entre-temps, il est plagiste, puis fait le tour de l’Europe avant de revenir à Châteauroux travailler dans une imprimerie.

C’est à l’âge de 16 ans que Gérard Depardieu se découvre une passion : le cinéma et arrive à Paris pour tenter sa chance. Bertrand Blier lui offre son premier rôle à succès avec « Les Valseuses » (1973) aux côtés de Patrick Dewaere et Miou-Miou où il crée un personnage de voyou sympathique, laissé pour compte de la société de consommation. Il devient rapidement, grâce à ce film, un acteur très apprécié de tous, une star nationale, et le chouchou de la critique. Son succès ne se démentira jamais par la suite.

Gérard diversifie son talent en interprétant des rôles différents les uns des autres, il sait autant faire rire que pleurer. Avec lui, l’émotion est toujours au rendez-vous. C’est avec «Le Dernier métroGérard Dépardieu et Catherine Deneuve dans "Le dernier métro", 1980» (1980) de François Truffaut qu’il obtient son premier César.

Dans les années 90, fort de sa popularité en France, l’acteur décide de partir en Amérique pour tenter sa chance dans une carrière internationale. Il tourne «1492 – Christophe Colomb» sous la houlette de Ridley Scott. Malgré le nom prestigieux du réalisateur, le film est un échec. Il ne se décourage pas et joue dans plusieurs autres productions américaines. Gérard Depardieu peut se vanter d’être un des rares Français célèbres en Amérique!

C’est avec « Cyrano de Bergerac » (1990) de Jean-Paul Rappeneau qu’il démontre l’ampleur de son talent. Un Prix d’interprétation à Cannes, un succès public considérable, une nomination aux Oscars, mais la statuette dorée lui passe sous le nez, lorsque «Time Magazine» l’assassine en allant fouiller dans son passé de mauvais garçon.

Sollicité par des réalisateurs français comme Ariel Zeitoun (« XXL »), Claude Berri (« Germinal ») ou Yves Angelo (« Le colonel Chabert »), aussi bien que par les metteurs en scène stars de Hollywood (Peter Weir par exemple pour « Green card », écrit spécialement pour Depardieu), il incarnait récemment Porthos dans « L’Homme au masque de fer », et tient le rôle d’Obélix dans « Astérix et Obélix contre César ». «Depuis que je joue Obélix, j’ai des pâquerettes dans la tête» – dit-il, heureuxFanny Ardant et Gérard Dépardieu dans "La femme d'à côté", 1981 comme tous les acteurs du film. En acceptant le rôle du gros Gaulois naïf, il s’est offert une cure de jouvence. Astérix a été la B.D. de son enfance. Fasciné par les personnages historiques, il avait eu l’idée, il y a longtemps, de consacrer un film à Vercingétorix. Il en avait même discuté avec un historien. Dans ce film tout a été minutieusement pensé, y compris les changements de mentalité depuis la création de la B.D. : les druides ne sont plus présentés sous un jour moqueur.

On l’a vu récemment dans son deuxième long métrage en tant que réalisateur, « Un pont entre deux rives », où il a pour partenaires Carole Bouquet et Charles Berling.

Cinéphile mais aussi viticulteur, Gérard Depardieu vit plus qu’il ne tourne: des difficultés personnelles (un divorce), des deuils (Bernard Blier, Jean Carmet), besoin de se ressourcer en cultivant ses vignes, sans doute.

Dans son château de Tigné, il se consacre entièrement à sa grande passion – le vin. Depardieu achète un vignoble en 1989, suivi de près par Pierre Richard, Jean-Louis Trintignant et Christophe Lambert. Quatre comédiens. Quatre manières différentes de penser le vin car les vins des stars ne sont pas des stars du vin. Mais tous leurs propriétaires sont des passionnés. Certains d’entre eux jouent au vigneron. D’autres, au contraire, s’investissent dans la vigne et les chais. Ainsi de Gérard DepardieuJohn Malkovich, Gérard Dépardieu et Jeremy Irons dans "L'homme au masque de fer", 1998, qui produit quelque 350 000 bouteilles de son vin d’Anjou par an. Depardieu, en quelques années, a transformé une propriété consacrée au rosé (le fameux cabernet d’Anjou) en un vignoble rouge, planté aux deux tiers de cabernet-franc. « En tournage à l’autre bout du monde, Gérard Depardieu décroche son téléphone cinq à dix fois par jour pour suivre tout ce qui se passe et donner ses instructions », confie Dominique Polleau, le maître de chai, qui gère avec son épouse Jacqueline, la propriété de la star. Devenu viticulteur, il contrôle tout. Il ne manque pas une vendange. Les vins de Depardieu ne participent pas aux concours viticoles. Pas, non plus de référence dans les guides, maisCristian Clavier et Gérard Dépardieu dans "Astérix et Obélix contre César", 1999, bien sûr, le nom de l’artiste figure sur les étiquettes.

Le mieux payé comédien français, il donne la plupart de l’argent aux impôts. Le reste, il l’investit. Aventurier infatigable, Gérard Depardieu n’a pas hésité à mettre 1 million de dollars dans la recherche de pétrole à Cuba. Probablement, on n’y trouvera rien, mais il ne s’inquiète pas. Grâce à ces investissements, il peut explorer le monde car il est toujours à la recherche de coups qui le tirent de l’ennui des tournages.

Ce sacré monstre, cet éléphant de porcelaine, né au cinéma, il y a trente ans, a appris ce qui ne s’apprend pas, les femmes, l’amitié, la passion, le talent d’avoir les enthousiasmes d’un gamin de 10 ans. « Dans ma tête j’ai l’âge de ceux qui me regardent. » La vie de Depardieu ressemble à un roman, mais il est certain qu’il en a encore plusieurs à vivre, le temps de trouver un défi à sa mesure et d’éviter de devenir sa propre caricature. Et jamais il n’est plus bouleversant qu’au cœur de cette ambivalence, de cette fêlure dans la force brute, qui fait de lui après plus 80 films, une bête de scène comme on en a peu connu...

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